La vigne, c’est 20 à 35 % des pesticides pour 3 % de surface cultivée

Collectifs, médias ou associations affirment que la vigne utilise 20 à 35 % des pesticides nationaux alors qu’elle n’occupe que 3 à 4 % des surfaces agricoles françaises. Ces chiffres récurrents ne sont pas pour autant tous stables et correctement sourcés, et témoignent d’une opacité vieille d’il y a vingt ans. Aujourd’hui, qu’en est-il vraiment ?

Eric Morain, avocat et chroniqueur sur France Inter : « L’impulsion politique est une bonne chose. La réalité en est une autre : en France, la vigne représente 3,7% de la surface agricole mais consomme à elle seule 20% des pesticides. »

Adso Melk : « vigne: 3 % de la surface agricole / 35 % du tonnage des pesticides… pas assez sexy pour figurer sur la plaquette ? »

« 20 à 30 % des pesticides nationaux dans le vin français ? » Avant même d’y répondre, voici un petit aperçu d’un vaste dissensus statistique, emboîté dans des sources médiatiques divergentes.

À chacun ses sources

Ce 15 septembre 2020, un communiqué de presse de l’association girondine Alerte aux toxiques (1) sur l’analyses de résidus de pesticides dans des vins certifiés Haute valeur environnementale (HVE) affirme : « La vigne consomme 20 % des pesticides utilisés en France – un cinquième des pesticides totaux ! – pour 3,7 % de la surface cultivée ». Contactée par DecodAgri, Valérie Murat, la porte-parole du collectif explique s’être fondée sur des chiffres parus dans des rapports administratifs et dans la presse.

Dans le Canard Enchaîné du 12 août dernier, l’article « La filière viticole trinque et cumule les déboires » indique que « le vignoble tricolore absorbe chaque année 28 000 tonnes de pesticides (35 % du tonnage pulvérisé en France), pour seulement 3 % de la surface agricole. » L’hebdomadaire semble s’appuyer pour sa part sur les chiffres d’un article de mai 2005, « Pesticides, la fin de la loi du silence ? », paru dans la Revue du Vin de France (2).

La Revue du Vin de France elle-même a cité en mars 2016 une dépêche de l’AFP (3) pour avancer d’autres chiffres que ceux repris par le Canard Enchaîné : « si la viticulture ne représente que 3% de la surface agricole en France, elle consomme 20 % des pesticides ».

En juin dernier, le communiqué de presse d’une nouvelle gamme de vins bio et végans, la marque Oé, écrit que « la vigne représente 4 % des surfaces agricoles françaises. Pourtant, elle couvre à elle seule 20 % des pesticides utilisés en agriculture ». Contactée, l’agence Marie Antoinette à l’origine de cette communication explique s’être fondée sur un article de France Info, datant d’août 2017 (4).

D’autres articles pourraient encore être cités, comme celui de janvier 2020 sur le site de Forbes (5) qui avance qu’« en France, 20 % de tous les pesticides utilisés dans l’agriculture le sont dans les vignes, alors qu’elles ne représentent que 3 % de la surface agricole ».

Ces chiffres, tous variables dans leurs valeurs, se retrouvent depuis des années dans la sphère médiatique sans être sourcés, datés et ni bien précisés. Une question peut par exemple être posée : s’agit-il d’un usage en volume ou en valeur de phytos ?

« Il y a une vraie opacité »

Contacté par DecodAgri, le ministère de l’Agriculture ne peut trancher. Son service de la communication répond que « les 3 % de la surface agricole utile française (SAU*) couverts par des vignes, est cohérent avec les dernières publications du Graphagri », le recueil des statistiques du ministère. Un pourcentage arrondi, le chiffre officiel étant 2,8 % des 28,64 millions d’hectares de SAU nationale en 2018.

En revanche, le ministère ajoute que « concernant les tonnages de pesticides épandus en viticulture, ceux-ci ne sont pas calculés par le Service de la statistique et de la prospective (SSP), qui publie des données sur l’Indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires (IFT) ».

Sollicitée, l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) précise que « pour le poids de la vigne dans l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, nous n’avons pas de données car nous ne faisons pas de catégorisation par culture (une solution de protection des plantes pouvant être utilisée pour plusieurs type de cultures). »

Cette absence de données officielles est le nœud du problème, souligne un journaliste de la presse généraliste expert du sujet, souhaitant garder l’anonymat : « On n’arrive pas à quantifier le tonnage global. Il y a une vraie opacité comme il n’y a pas d’autorité indépendante pour le chiffrer incontestablement. Comme si personne n’avait envie de savoir. »

Sur quels chiffres se fonder ?

Citées par Valérie Murat, du collectif Alerte aux toxiques, les seules données officielles sur ce sujet sont issues d’un rapport sénatorial d’octobre 2012 : « Pesticides : vers le risque zéro » de la sénatrice charentaise Nicole Bonnefoy (6).

N’ayant pas répondu à nos sollicitations, l’élue a signé les conclusions de la mission commune d’information sur les pesticides, où elle indique que la vigne représente 3 % de la SAU pour 14,4 % des dépenses nationales de pesticides en valeur. Le rapport se fonde sur des données déjà datées à l’époque : celles d’octobre 2001 du Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture.

Les dépenses consacrées à l’acquisition de pesticides et les surfaces, production par production selon les calculs de l’INRA, 2001.

Avec les éléments actuellement disponibles, la seule chose que l’on puisse affirmer date de vingt ans : « en 2000, les viticulteurs consommaient à eux seuls 20 % des pesticides en France. Pourtant, à l’époque, selon des données du ministère de l’Agriculture, les vignobles ne représentaient que 3 % de la surface agricole utile (SAU) » comme le résume le site Médiapart en juillet 2019 (7).

À retenir : Il est trompeur d’affirmer que la vigne utilise aujourd’hui encore 20 à 35 % des pesticides nationaux pour 3 à 4 % des surfaces agricoles françaises. Car les seules données disponibles datent d’il y a vingt ans. Depuis, ni le ministère de l’Agriculture, ni l’Union des industries de la protection des plantes n’ont publié de données officielles.

*Définition
Surface agricole utile (SAU) : indicateur statistique destiné à évaluer le territoire consacré à la production agricole. La SAU est composée de terres arables (grandes cultures, cultures maraîchères, prairies artificielles…), surfaces toujours en herbe (prairies permanentes, alpages) et cultures pérennes (vignes, vergers…). Elle n’inclut pas les bois et forêts. Elle comprend en revanche les surfaces en jachère (comprises dans les terres arables)

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(1) https://web.archive.org/save/https://alerteauxtoxiques.com/2020/09/14/analyses-de-residus-de-pesticides-dans-les-vins-les-resultats-la-hve-encore-gourmande-en-pesticides/

(2) https://web.archive.org/web/20190601085843/https://www.larvf.com/,vins-viticulture-pesticides-analyse-enquete-dangers-sante-maladies-vignerons,2001116,4244181.asp

(3) https://web.archive.org/web/20190601085912/https://www.larvf.com/,vins-de-bordeaux-peur-sur-la-toxicite-des-pesticides,4482623.asp

(4) https://web.archive.org/web/20180309113306/https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/video-13h15-les-zones-viticoles-en-france-consomment-20-des-pesticides-pour-moins-de-4-de-la-surface-agricole_2343817.html

(5) https://web.archive.org/web/20200307160122/https://www.forbes.fr/environnement/pourquoi-le-vignoble-bordelais-boude-t-il-le-bio/

(6) https://web.archive.org/web/20190412052114/https://www.senat.fr/rap/r12-042-1/r12-042-17.html

(7) https://web.archive.org/web/20200124123122/https://www.mediapart.fr/journal/france/040719/commune-par-commune-la-carte-de-france-des-pesticides?onglet=full