Les épandages agricoles véhiculent le Covid-19 dans l’air

Article du 6 avril 2020 mis à jour le 21 avril 2020 avec la décision du Conseil d’État.

Cette affirmation est une hypothèse relayée sur les réseaux sociaux à la suite d’une tribune publiée fin mars 2020, qui demande à l’État de limiter « drastiquement les épandages agricoles ». Or, la conclusion de cette publication « mal formulée » comme le concède à DecodAgri l’un de ses auteurs, va être en partie modifiée.

Professeur Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HP : « Des scientifiques en France et en Italie nous alertent sur la possibilité d’une transmission du virus covid par les particules fines issues notamment de l’épandage agricole. Des analyses plus poussées sont nécessaires. »

Le journal Le Monde : « #Coronavirus : la pollution de l’air est un « facteur aggravant des impacts sanitaires lors de la contagion par le Covid-19 », alertent médecins et chercheurs. »

Serge Zaka, chercheur en agrométéorologie à l’ITK de Montpellier : « 28 mars, en plein confinement, alors que la pollution a baissé depuis 2 semaines dans le monde, un pic de pollution aux particules fines PM10 a curieusement été observé dans le nord de la France : l’agriculture doit-elle être pointée du doigt ? »

Les épandages agricoles* printaniers véhiculent-ils le Covid-19 ? C’est la question que posent certains médias et également l’association Nous voulons des coquelicots dans un texte du 27 mars 2020 (1).

Qui est à l’origine de cette question ?

Pour y répondre, tous citent comme source une tribune « Épandages agricole*s et propagation des virus » (2), publiée les 23 et 24 mars 2020 sur différents sites internet rattachés au collectif Air-Santé-Climat. Collectif présenté à chaque fois comme étant des médecins, des chercheurs ou des scientifiques de Strasbourg.

Or, Air-Santé-Climat représente différents groupes tels que Strasbourg Respire, l’Association Santé Environnement France dit Asef (3) et la Fondation du Souffle, qui ne se qualifient pas de la même manière.

Le premier se présente comme « un collectif de citoyens » parmi lesquels se trouvent notamment des médecins et des chercheurs. Le deuxième est une association « composée exclusivement de professionnels de santé » (4). Quant à la Fondation du Souffle (5), « elle vise à rassembler tous les acteurs impliqués au plan national dans la lutte contre les maladies respiratoires. »

L’association Nous voulons des Coquelicots : « [EPANDAGES] Enfermés avec leurs gosses, de nombreux confinés doivent supporter à quelques mètres de leurs fenêtres les vaporisations de #pesticides Sans compter qu’en favorisant les particules fines, ces poisons amplifient la dispersion du #coronavirus. »

Clément Torpier, agriculteur en Seine-et-Marne et membre du syndicat Jeunes Agriculteurs : « M. le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume. Il est inconcevable de laisser se répandre de tels mensonges! Il faut stopper au +vite la propagande anti-agriculteur. Qu’ont fait Nous Voulons des Coquelicots face au #COVID19france, mis à part répandre la haine et la peur ? Rien. »

Une hypothèse encore non prouvée

Dès son introduction, la publication du collectif affirme que la pollution de l’air aux particules fines, favorisée en partie par les épandages agricoles* printaniers et le trafic routier, « en plus de fragiliser notre système immunitaire et de nous rendre plus sensibles aux infections notamment virales, permet également une meilleure diffusion et donc une meilleure transmission des agents pathogènes tels que le coronavirus. » Et de poursuivre : « Ces particules peuvent voyager sur plusieurs kilomètres et donc transporter également le virus sur de longues distances ! »

Or, deux points sont ici à différencier et ne peuvent aboutir à une seule et même conclusion. Car si les effets néfastes de la pollution de l’air sur la santé sont prouvés – comme l’atteste notamment un avis de l’Organisation mondiale pour la santé (6) – le rôle des particules fines dans la propagation du coronavirus Covid-19 reste à démontrer.

En effet, Zoltan Massay-Kosubek, responsable des questions de pollution de l’air à l’Epha – Alliance européenne pour la santé publique – précise à DecodAgri que la notion de transport du virus par les particules fines émises en partie par les épandages agricoles reste à ce jour une « hypothèse ». Certes « connue », elle doit, selon lui, encore être « démontrée et prouvée ».

Même prudence dans un avis du Haut conseil de la santé publique en date du 17 mars 2020 (7) : « la présence d’un virus dans l’air ne signifie pas qu’il est infectieux ni qu’il y a une transmission respiratoire de type air ». Le HCSP poursuit son analyse en indiquant qu’« il n’existe pas d’études prouvant une transmission interhumaine du virus par des aérosols sur de longues distances. Néanmoins, s’il existe, ce mode de transmission n’est pas le mode de transmission majoritaire. »

Une absence de preuve scientifique que confirme à DecodAgri le docteur Bourdrel, fondateur de Strasbourg Respire et l’un des auteurs de la tribune : « Le fait que le virus soit transporté par les particules fines est un autre facteur aggravant qui, celui-là, reste discuté, bien que pour nous, très probable. »

« Une tribune mal formulée »

Interrogé sur les raisons qui amènent son collectif à demander la limitation « drastique » des épandages agricoles*, le pneumologue explique qu’il s’agit davantage « d’un contexte de temporalité que de causalité » et « qu’il ne s’agit pas de stigmatiser les agriculteurs qui ont beaucoup à faire et dont le travail est indispensable. » Mais le docteur Bourdrel de concéder que « la tribune est mal formulée » et qu’elle va ainsi être en partie « modifiée ». Elle n’appellera pas à la limitation drastique des épandages agricoles comme spécifié sur les différents sites du collectif, mais à « l’application des bonnes pratiques » de l’agriculture énoncées par l’Agence de la transition écologique (8).

Le docteur Bourdrel a été contacté le 31 mars dernier. Au jour de la publication de cet article sur DecodAgri, le 6 avril 2020, les modifications de la tribune n’ont pas encore été effectuées.

À retenir : l’affirmation selon laquelle l’épandage agricole printanier (voir encadré) véhicule le coronavirus Covid-19 via les particules fines qu’il émet, n’est qu’une hypothèse et ne repose donc, à ce jour, sur aucune étude scientifique officielle et incontestable.

Mise à jour du 21/04/2020 : Le Conseil d’Etat rejette la requête de l’association Respire le 20 avril 2020. « Le juge des référés a estimé que les trois principales études sur lesquelles l’association requérante fondait sa requête et les éléments apportés lors de l’audience ne permettaient pas de conclure à la nécessité de prendre des mesures complémentaires. » Le ministre de l’agriculture et de l’alimentation « soutient, en premier lieu, qu’à défaut pour la requérante de démontrer le risque engendré par le niveau actuel de la pollution de l’air dû aux activités agricoles, aucune carence dans la réglementation des activités d’épandage ne saurait être reprochée à l’autorité administrative, en deuxième lieu, qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et, en dernier lieu, qu’il n’y a dès lors pas urgence à édicter les mesures sollicitées. »


À noter : La tribune de Air-Santé-Climat évoque à plusieurs reprises les « épandages agricoles printaniers » ou « particules printanières ». Elle fait référence aux « épandages d’engrais qui émettent de l’ammoniac dans l’air et non aux pulvérisations de pesticides », comme le confirme à DecodAgri le docteur Bourdrel. Or, l’association Nous voulons des Coquelicots fait directement référence aux traitements phytosanitaires en intitulant sa publication « Coronavirus : faut-il arrêter les épandages de pesticides ? ». C’est un raccourci trompeur, voire faux, puisqu’il ne correspond pas aux propos de la tribune d’origine.

*Définition
Epandage agricole : technique agricole consistant à répandre divers produits sur des zones cultivées, forêts, voies ferrées, marais

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(1) https://web.archive.org/web/20200406113735/https://nousvoulonsdescoquelicots.org/2020/03/27/coronavirus-faut-il-arreter-les-epandages-de-pesticides/

(2) https://web.archive.org/web/20200331142845/https://strasbourgrespire.fr/2020/03/epandages-et-virus/

(3) https://web.archive.org/web/20200404041517/http://www.asef-asso.fr/actualite/tribune-du-collectif-air-sante-climat-la-pollution-de-lair-comme-vecteur-du-covid-19/

(4) https://web.archive.org/web/20200309113352/http://www.asef-asso.fr/nous-connaitre/

(5) https://web.archive.org/web/20200401152241/https://www.lesouffle.org/la-fondation/presentation-de-la-fondation-du-souffle/

(6) https://web.archive.org/web/20200103173653/https://www.who.int/phe/health_topics/outdoorair/databases/health_impacts/fr/

(7) https://web.archive.org/save/https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=783

(8) https://web.archive.org/save/https://www.ademe.fr/guide-bonnes-pratiques-agricoles-lamelioration-qualite-lair