L’agriculture est responsable du déclin des insectes

Certains grands médias, comme Le Monde [1] ou The Guardian [2], se sont emparés de la question de la disparition des insectes. Le terme d’« extinction de masse » est apparu, comparant la disparition des insectes à celle des dinosaures. En cause, selon les chercheurs : l’agriculture, l’urbanisation, la pollution ou encore, les espèces exotiques envahissantes. Est-ce le cas ? Les insectes ont-ils disparu ? Qui sont les vrais responsables ?

Cyril Dion, écrivain, réalisateur spécialisé dans l’environnement : « Déforestation, simplification des paysages avec l’agriculture industrielle, artificialisation des sols avec l’urbanisation, « usage massif et irraisonné de pesticides » l’Académie des sciences tire -à nouveau- la sonnette d’alarme sur le déclin des insectes »

[Ce 02/09/21, ce compte Twitter a été supprimé. Ici, capture du tweet de Christian Daniau, en date du 5 juin 2021 à 11h41, enregistré sur le site d’archives WayBackMachine avant sa suppression]

Christian Daniau, président de la Chambre d’agriculture de Charente : « #journeemondialdelenvironnement. Avec @NoeBiodiversite et @NvelleAquitaine nous mesurons l’evolution de la biodiversité dans nos parcelles. Pose de nichoirs et refuges à insectes. Comptage des oiseaux …L’#agriculture offre le gîte et le couvert à la #biodiversite« 

 
 

Si la communauté scientifique n’est pas toujours d’accord sur le plan international quant à l’origine ou la vitesse de disparition des insectes, elle est unanime concernant leur déclin et la nécessité d’agir.

 
 

Un déclin des insectes reconnu par les scientifiques

L’Académie des sciences publiait le 26 janvier 2021 un avis [3] intitulé « Le déclin des insectes : il est urgent d’agir ! » Cet avis résume les informations qui peuvent circuler sur internet et dans les milieux scientifiques au sujet du déclin des insectes.

« Depuis une vingtaine d’années, les observations de terrain et les analyses comparatives de bases de données de biodiversité pointent une diminution du nombre d’insectes. La signification globale de ces observations, souvent réalisées dans des conditions non standardisées et limitées à un lieu et/ou une famille d’insectes, n’était cependant pas établie de façon consensuelle. […] Au cours des dernières années, plusieurs études publiées sont venues confirmer un appauvrissement de la faune des insectes, que ce soit en termes d’abondance ou de disparition d’espèces dans les régions tempérées, mais aussi les tropiques et l’arctique. Des baisses de biomasse d’insectes allant jusqu’à 75 % ont été rapportées dans des zones pourtant protégées en Allemagne et dans une forêt tropicale à Porto Rico. Le suivi par radar de l’envol des nuées d’éphémères au-dessus des grands lacs américains montre un déclin de plus de 50 % depuis le début des années 2000. Des pertes importantes, allant jusqu’à 55 %, ont également été mesurées pour les insectes pollinisateurs en Grande-Bretagne depuis 1980. La confirmation d’un déclin des insectes et l’ampleur du phénomène ont rencontré un fort écho médiatique, associé à l’utilisation d’un vocabulaire alarmiste (« apocalypse des insectes », « effondrement », « extinction globale ») ».

Pour autant, comme le souligne l’avis, « si les études parues ces dernières années ont joué un rôle salutaire d’alerte sur un problème émergent, nous ne disposons pas à ce jour de suffisamment de données quantitatives et fiables pour évaluer globalement la sévérité du déclin des insectes et ses variations spatiales ou taxonomiques* ».

Une responsabilité partagée

En attendant, concernant l’origine de ce déclin, l’Académie des sciences renvoie à l’analyse de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) [4]. En effet, le déclin des insectes est bien sûr lié à un déclin général de la biodiversité en France et dans le monde. L’IPBES identifie cinq principales causes d’érosion, classées par ordre décroissant d’importance, que rapporte l’Académie des sciences :

  1. Les changements dans l’utilisation des terres [voir plus bas],
  2. L’exploitation directe des organismes [voir plus bas],
  3. Le changement climatique,
  4. La pollution,
  5. Les espèces exotiques envahissantes.

L’Académie des sciences précise que « pour ce qui est des insectes, non concernés par la pêche ou la chasse, l’exploitation directe [autrement dit leur prélèvement directement dans la nature, NDLR] ne peut être incriminée. »

Principales causes, processus et mécanismes de mortalité des insectes ©Académie des sciences

Compte tenu de ces causes, l’agriculture n’est pas la seule concernée. Pour autant, dans tous les cas, elle est bien l’un des responsables du déclin des insectes, par l’utilisation des produits phytosanitaires* ou par le changement d’utilisation des terres, comme la vente de terres agricoles en vue de son urbanisation. Et l’Europe le confirme dans une étude [5] sur le lien entre agriculture et diminution de la biodiversité, publiée par la Cour des comptes européenne en juin 2020.

« Il ressort du rapport de 2019 sur l’état de l’environnement de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) que l’intensification agricole reste l’une des principales causes de la perte de biodiversité et de la dégradation des écosystèmes en Europe. Dans de nombreuses régions d’Europe, l’intensification a transformé des paysages autrefois variés, composés de nombreux petits champs et d’habitats, en un terrain homogène et continu travaillé à l’aide de grosses machines et d’une main d’œuvre fortement réduite. Cela a entraîné une diminution de l’abondance et de la diversité de la végétation naturelle et, par suite, de celles des espèces animales », peut-on y lire.

Le déclin de la biodiversité des terres agricoles est dû, entre autres, à une utilisation plus intensive des terres ©Cour des comptes européenne

L’agriculture est dépendante des insectes

Pour autant, l’agriculture a besoin des insectes, car, comme le précise toujours l’Académie des sciences, ces derniers « assurent des services essentiels comme la pollinisation, le recyclage de la matière organique et une participation à la plupart des réseaux alimentaires. L’ensemble de ces services représente une valeur monétaire de plusieurs centaines de milliards d’euros à l’échelle mondiale. ».

Les insectes participent effectivement au cycle du vivant en consommant et en transformant les organismes morts, végétaux ou animaux, ou encore en transportant le pollen ou des graines. Les insectes pollinisateurs assurent la reproduction de 80 % des plantes sauvages et du tiers des cultures vivrières à l’échelle mondiale [6]. Si jamais les insectes venaient à disparaître, l’Homme ne saurait faire leur « travail », d’où des pertes de production et un coût économique important.

En Californie, par exemple, la pollinisation des amandiers (80 % du marché mondial des amandes) est un cas d’école [7] ! Des abeilles venues d’Australie viennent combler le manque de pollinisateurs américains entrainant des coûts supplémentaires et un certain questionnement. « Une disparition totale des pollinisateurs entraînerait une baisse de la production supérieure à 90 % pour 12 % des principales cultures mondiales. », décrit un rapport d’évaluation [8] de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) de 2016.

Dépendance (en %) à l’égard de la pollinisation animale des principales cultures mondiales directement consommées par les êtres humains et commercialisées sur le marché mondial ©IPBES [9]

De plus, certains insectes, appelés insectes auxiliaires*, sont utilisés par l’agriculteur dans la lutte biologique [10] qui consiste « à réduire les effectifs d’un organisme – animal ou plante – gênant, en le faisant dévorer par un de ses ennemis naturels ».

Yvon Laizet, PDG de Sarl Diagnostics Scanner : « Agriculture : des insectes remplacent les pesticides pour protéger les tomates via L’info Durable »

L’Office pour les insectes et leur environnement (Opie) cite pour exemple [11] l’histoire de la coccinelle Rodolia cardinalis prélevée en Australie où se trouve son habitat naturel. Elle a permis de gérer la population de cochenilles Icerya purchasi, soupçonnée de provenir elle-même d’Australie, dans les plantations d’agrumes de Californie.

Plus récemment et en France, de petits hyménoptères*, les trichogrammes, sont utilisés par millions pour lutter contre une chenille redoutée par les agriculteurs, la pyrale du maïs.

À ces exemples de liens forts entre agriculture et insectes peut s’ajouter l’élevage d’insectes. L’Académie des sciences met d’ailleurs en avant le fait que « de nombreuses entreprises ont su développer des élevages industriels d’insectes pour l’alimentation, humaine parfois mais surtout animale (farine pour les élevages de poulets, l’aquaculture*), remplaçant de façon plus efficace, d’un point énergétique, et plus respectueuse de l’environnement, les tourteaux de soja ou le poisson fourrage* ».

Vers une remise en cause de nos systèmes de production ?

L’Homme en général et inévitablement les agriculteurs ont besoin des insectes. Si l’agriculture « intensive »* existe bel et bien, il est important de prendre en compte la diversité des modes de production, aussi bien en France qu’ailleurs dans le monde.

En effet, certains agriculteurs sont engagés dans la préservation de cette biodiversité par le choix de leur mode de production (agriculture biologique [12] par exemple) ou leurs actions (plantation de haie [13], comptage d’insectes, etc.). Une multitude de modes de production coexiste dans le monde avec, à la clef, une grande diversité de produits agricoles.

Le consommateur, par son acte d’achat, va influencer le développement de certains modes de production et donc contribuer indirectement à la préservation de la biodiversité et des insectes. Or cet acte d’achat dépend aussi de la taille de son porte-monnaie. La réflexion quitte donc l’arène scientifique pour devenir une question sociétale, avec des interrogations quant au modèle économique et agricole voulu, porté également par un monde politique.

À retenir : Oui l’agriculture contribue au déclin des insectes en lien avec l’utilisation des terres, ou de produits phytosanitaires. Mais elle n’est pas la seule responsable de ce déclin (il y a aussi le changement climatique, la pollution, l’artificialisation des terres, etc.). De plus, elle contribue aussi à préserver les insectes car elle en a besoin pour assurer la production. Tout dépend donc du modèle de production agricole, car il existe une multitude de formes d’agriculture dans le monde. Pour autant, le consommateur peut aussi jouer un rôle par ses achats dans la lutte contre le déclin des insectes.

*Définitions
Taxonomie : science de la classification des êtres vivants qui a pour objet de les décrire et de les regrouper en entités appelées taxons (genre, espèces, etc.) afin de pouvoir les nommer et les classer

Produit phytosanitaire : produit chimique destiné à lutter contre les parasites animaux et végétaux nuisibles aux cultures et aux produits récoltés

Auxiliaires : les auxiliaires de cultures sont des êtres vivants qui atténuent l’impact des bioagresseurs (insectes, bactéries, etc.)

Hyménoptères : ordre d’insectes comprenant les abeilles, les guêpes ou les fourmis

Aquaculture : culture d’organismes aquatiques (poissons, algues, mollusques, crustacées) en milieu fermé (bassin, rivière, étang)

Poisson fourrage : poisson de faible valeur marchande utilisé directement dans l’alimentation d’autres poissons comme les saumons ou des animaux d’élevage (porcs, volailles)

Agriculture intensive : un système agricole dit « intensif » est défini par sa productivité élevée. Les systèmes industriels intensifs sont basés sur la spécialisation des exploitations, la sélection de variétés performantes et l’utilisation d’intrants, qui ont fortement contribué à l’augmentation des rendements agricoles. Par opposition, les systèmes en agriculture biologique peuvent être qualifiés « d’extensifs », ainsi que les systèmes agroécologiques valorisant la diversité biologique et les régulations naturelles, même si la productivité de ces derniers peut atteindre des niveaux élevés à très faible coût, comme actuellement dans le Sud de l’Inde (source : Inrae)

Vous avez une remarque à nous faire ? Vous souhaitez que DecodAgri vérifie une information ?

Contactez-nous via l’adresse contact@decodagri.fr ou sur les réseaux sociaux TwitterFacebook et LinkedIn


Liens archivés sur le site internet Wayback Machine

[1] Vive controverse autour du déclin des insectes ou La disparition des insectes, un phénomène dévastateur pour les écosystèmes ou Les insectes pourraient disparaître de la planète d’ici 100 ans

[2] ‘Insect apocalypse’ poses risk to all life on Earth, conservationists warn | Environment

[3] Le déclin des insectes : il est urgent d’agir | Rapports, ouvrages, avis et recommandations de l’Académie | Assurer un rôle d’expertise et de conseil

[4] Insect decline: immediate action is needed

[5] Rapport spécial 13/20: Biodiversité des terres agricoles: la contribution de la PAC n’a pas permis d’enrayer le déclin

[6] Les communautés d’insectes : une information originale sur l’état des milieux pour le gestionnaire | Espaces naturels

[7] La Californie malade de ses abeilles

[8] Rapport d’évaluation sur les pollinisateurs

[9] Klein et al. (2007) « Importance of pollinators in changing landscapes for world crops » Proc. R. Soc. B 274: 303-313. Note : ce graphique et ces chiffres sont repris de la figure 3 dans Klein et al., 2007, et ne comprennent que les cultures qui produisent des fruits ou des graines pour la consommation humaine directe en tant que nourriture (107 cultures), mais excluent les cultures dont les graines sont uniquement utilisées pour la sélection ou pour faire pousser des parties végétales pour l’utilisation humaine directe ou pour le fourrage, et les cultures connues pour être pollinisées uniquement par le vent, autogames ou reproduites par voie végétative.

[10] https://web.archive.org/web/20210608140859/http://www7.inra.fr/opie-insectes/luttebio.htm

[11] https://web.archive.org/web/20210608140859/http://www7.inra.fr/opie-insectes/luttebio.htm

[12] https://web.archive.org/web/20210709112115/https://www.agencebio.org/

[13] https://web.archive.org/web/20210316011525/https://www.web-agri.fr/actualite-de-lelevage/article/176274/label-haie-un-outil-economique-pour-valoriser-la-gestion-des-haies-par-les-agriculteurs